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Jean-Paul II

"Salvifici Doloris".
24. Toutefois, les expériences de l'Apôtre, participant aux souffrances du Christ, vont encore plus loin. Dans la lettre aux Colossiens, nous pouvons lire une phrase qui constitue comme l'ultime étape de l'itinéraire spirituel lié à la souffrance. Saint Paul écrit: « Je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l'Eglise »(78). Et il interroge les destinataires d'une autre lettre: « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ? »(79).

Dans le mystère pascal, le Christ a inauguré son union avec l'homme dans la communauté de l'Eglise. Le mystère de l'Eglise s'exprime dans le fait que dès le baptême, qui configure au Christ, puis par son Sacrifice — sacramentellement, par l'Eucharistie —, l'Eglise ne cesse de se construire spirituellement comme corps du Christ. Dans ce corps, le Christ veut être uni à tous les hommes, et il est uni d'une façon particulière à ceux qui souffrent. Les paroles de la lettre aux Colossiens citées plus haut attestent le caractère exceptionnel de cette union. Voici en effet que celui qui souffre en union avec le Christ — comme l'Apôtre Paul endure ses « tribulations» en union avec le Christ — non seulement puise dans le Christ la force dont nous avons parlé précédemment mais aussi « complète » par sa souffrance « ce qui manque aux épreuves du Christ ». Dans ce contexte évangélique est mise en relief, de façon particulière, la vérité sur le caractère créateur de la souffrance. La souffrance du Christ a créé le bien de la Rédemption du monde. Ce bien en lui-même est inépuisable et infini. Aucun homme ne peut lui ajouter quoi que ce soit. Mais en même temps, dans le mystère de l'Eglise qui est son corps, le Christ, en un sens, a ouvert sa souffrance rédemptrice à toute souffrance de l'homme. Dans la mesure où l'homme devient participant des souffrances du Christ — en quelque lieu du monde et à quelque moment de l'histoire que ce soit —, il complète à sa façon la souffrance par laquelle le Christ a opéré la Rédemption du monde.

Cela veut-il dire que la Rédemption accomplie par le Christ n'est pas complète? Non. Cela signifie seulement que la Rédemption, opérée par la force de l'amour réparateur, reste constamment ouverte à tout amour qui s'exprime dans la souffrance humaine. Dans cette dimension — dans la dimension de l'amour —, la Rédemption déjà accomplie totalement s'accomplit, en un sens, constamment. Le Christ a opéré la Rédemption entièrement et jusqu'à la fin; mais en même temps il n'y a pas mis un terme: dans la souffrance rédemptrice par laquelle s'est opérée la Rédemption du monde, le Christ s'est ouvert des le début, et il s'ouvre constamment, à toute souffrance humaine. Oui, cela semble faire partie de l'essence même de la souffrance rédemptrice du Christ que de tendre à être sans cesse complétée.

C'est donc en ayant une telle ouverture à toute souffrance humaine que le Christ a opéré par sa propre souffrance la Rédemption du monde. En effet, cette Rédemption, bien qu'accomplie en toute plénitude par la souffrance du Christ, vit et se développe en même temps à sa manière dans l'histoire de l'homme. Elle vit et se développe comme le corps du Christ — l'Eglise —, et dans cette dimension toute souffrance humaine, en vertu de l'union dans l'amour avec le Christ, complète la souffrance du Christ. Elle la complète comme l'Eglise complète l'œuvre rédemptrice du Christ. Le mystère de l'Eglise — de ce corps qui complète aussi en lui-même le corps crucifié et ressuscité du Christ — indique l'espace dans lequel les souffrances humaines complètent les souffrances du Christ. C'est seulement dans ce domaine, dans cette dimension de l'Eglise-corps du Christ se développant continuellement dans l'espace et dans le temps, que l'on peut penser à « ce qui manque » aux épreuves du Christ et que l'on peut en parler. L'Apôtre, du reste, le met clairement en relief quand il parle de compléter « ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps, qui est l'Eglise ».

L'Eglise,qui puise sans cesse aux sources infinies de la Rédemption, en introduisant cette Rédemption dans la vie de l'humanité, est précisément la dimension dans laquelle la souffrance rédemptrice du Christ peut être constamment complétée par la souffrance de l'homme. Cela met en relief la nature à la fois divine et humaine de l'Eglise. La souffrance semble relever en quelque sorte des caractéristiques de cette nature. Et c'est pourquoi aussi elle a une valeur spéciale aux yeux de l'Eglise. Elle est un bien, devant lequel l'Eglise s'incline avec vénération, dans toute la profondeur de sa foi en la Rédemption. Elle s'incline aussi devant lui dans toute la profondeur de la foi avec laquelle elle accueille en elle-même l'inexprimable mystère du corps du Christ.