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Pastorale d’engendrement

De la foi en la vie à la foi au Christ

Anne Deshusses-Raemy, Carouge

Théologienne, Service catholique de catéchèse de Genève

 

La session 2010 du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg (et Neuchâtel) a permis aux agents pastoraux, prêtres et laïcs, de se mettre « à l’école du Christ initiateur »1 et de se poser la question de la teneur de la pastorale d’engendrement : une pratique pastorale observée par des théologiens, puis théorisée par eux. « L’engendrement », c’est la vie qui se transmet ; le rôle de l’Eglise, c’est de rassembler un peuple autour des questions essentielles de la vie et de la foi, à la manière de Jésus, ici et maintenant.

 Lors de la session diocésaine 2010 sur le thème de la pastorale d’engendrement, le Père Christoph Theobald s.j., conférencier et spécialiste de la question, a insisté sur « l’analogie entre l’accès de quelqu’un à son humanité grâce à celui et celle qui l’ont engendré et l’accès à la foi grâce à la présence d’un autre croyant, d’un ou de plusieurs témoins, d’un ou de plusieurs passeurs ».2

 Il a invité les personnes qui travaillent en Eglise à réfléchir sur le lien à maintenir entre la transmission de la vie et la transmission de la foi.

La foi en la vie, le « cela vaut la peine de vivre », est une foi élémentaire et première. L’émergence de cette foi primordiale est un mystère. La foi chrétienne se greffe sur elle. L’Evangile, « bonne nouvelle de bonté radicale », vient de Dieu. Il est annoncé universellement à chacun, dans un monde traversé de malheurs et de malveillances. Il s’adresse à la foi de quiconque. Ceux qui prennent la suite du Christ en s’engageant dans la pastorale se mettent avec lui au service de la foi de quiconque.

 Une Eglise en mutation
Dans un monde traversé par « l’in-évidence de Dieu » et la résistance aux systèmes de valeurs, la figure du christianisme est en mutation. . L’Eglise doit faire preuve d’une hospitalité inconditionnelle et de proximité pour s’approcher de quiconque, en faisant crédit à la vie, à la contagion de la foi en la vie. Elle doit le faire dans la cohérence avec la Bonne Nouvelle qu’elle annonce, s’appuyant en cela sur le concile Vatican II et sa réception toujours en marche : « Tandis que la population garde fortement la mémoire d’une Eglise instituée de façon pyramidale et spécialisée dans la gestion du sacré, laissant aux laïcs des interventions dans le registre pragmatique de l’aide ou de l’assistance, le concile revivifie l’antique conception de l’Eglise-sacrement, communion de communautés différentes, en donnant à l’ardeur de la communion la force du témoignage évangélique. »3  L’itinéraire de toute existence humaine entre sa naissance et son décès, entre la vie et la mort, passe par des seuils et des crises qui sont autant de déséquilibres permettant d’accéder à un nouvel équilibre, qui sera lui-même provisoire. Ces crises provoquent des situations d’ouverture à la totalité de la vie et des prises de conscience que toute l’existence a du prix, du poids et va vers la maturité : cela vaut la peine de continuer.
Les agents pastoraux relisent ces situations d’ouverture pour donner à voir le lieu où la foi élémentaire en la vie et la foi en Jésus-Christ s’est engendrée. « Tu étais là et je ne le savais pas », disait saint Augustin en écrivant les événements menant à sa conversion, prenant conscience que sa vie entière était en Dieu bien avant qu’il ne le reconnaisse.

 « C’est Dieu qui allume des feux dans le cœur des hommes. A nous, il nous est seulement demandé de défricher des terres, de couper du bois, et d’approcher l’allumette, au bon moment, au bon endroit. [..] Mais n’oublions pas : l’échec fait partie de la mission. »4

 Passeurs d’Evangile
 « Au cœur de la pastorale d’engendrement se trouve un certain type d’acteurs. Celui ou celle que nous appelons présence ou passeur d’Evangile prend, dans les différents domaines de la vie […] une figure précise : le soignant ou l’aumônier, l’enseignant ou l’éducateur, le militant, l’acteur social, ou le donneur de vie. […] Ce ne sont pas les qualités professionnelles qui font la différence, […] elles sont attendues, voire exigées. Mais seule la qualité de relation de quelqu’un et son type de présence dans son environnement, professionnel ou autre, font qu’une relation significative peut s’établir. […] Seule l’implication personnelle des acteurs principaux dans une démarche de conversion peut donner goût à d’autres de s’y engager avec leur propre liberté. »5

 La condition principale réside donc dans la crédibilité du passeur.
C’est en observant Jésus, la pédagogie qu’il déploie et ses relations avec les autres, que nous pouvons tenter une réponse à la question de l’identité du passeur. « Pour vivre avec [les hommes] l’aventure spirituelle proposée, Jésus a partagé leur aventure humaine dans une vie de proximité forte (repas, déplacements, prières). Il ne les a pas appelés serviteurs mais amis. Il les a rassurés en leur révélant leurs capacités : "N’aie pas peur !". Il les a semoncés pour les mettre en face de leur propre vérité. Il a pris soin d’eux dans tous leurs besoins, de manière holistique : le corps, l’affectif, le psychologique, le social, le spirituel… Il les a éveillés à la foi, en les provoquant à l’acte de foi : "Qui dites-vous que je suis ?" »6

 André Fossion a rédigé à l’intention des passeurs une Petite grammaire spirituelle,7 qui repose sur trois points fondamentaux : se déplacer vers les autres, les rencontrer, les rendre auteurs de leur propre chemin. Tout cela dans un esprit de confiance et de démaîtrise. C’est bien dans cet esprit-là, de façon souvent informelle, que la foi en la vie se transmet à l’intérieur des familles et que la foi au Christ émerge de cette foi en la vie.
Les agents pastoraux de la pastorale d’engendrement, quant à eux, puisent leurs ressources dans l’Ecriture. La Bible propose une vision messianique de l’Histoire comme antidote du provisoire. La foi est le signe par excellence qui permet d’interpréter l’Histoire sous le regard de Dieu et de guérir de notre violence vécue.
L’Ecriture contient la Parole de Dieu, qui nous envoie son Esprit pour la discerner et l’interpréter. Dieu prend le risque de notre propre histoire pour montrer sa fidélité à l’Alliance.
Si l’Ecriture permet un accès à l’intériorité et à la liturgie, une relecture personnelle et communautaire, dans l’histoire, elle ne doit cependant pas être instrumentalisée. En fait, la Bible n’est pas la Parole de Dieu ; elle le devient lorsqu’elle est lue, reçue, acclamée, priée. Elle devient Parole de Dieu dans nos vies lorsqu’elle permet de relire les événements vécus en proposant un va-et-vient entre l’existence et les Ecritures.8
 « Mais la pastorale d’engendrement ne se réduit pas à une dynamique engagée à partir de la lecture de l’Evangile. […] La dimension d’accueil et d’hospitalité permet aux personnes de se sentir reconnues, du coup, elles renaissent à elles-mêmes et à la relation aux autres. »9

 Mise en œuvre
Qu’en est-il donc de la pastorale d’engendrement dans la catéchèse à Genève ? Le Service catholique de catéchèse (SCC)10 est-il plongé dans la pédagogie de Jésus ? Dans une analogie avec la vie ? Ses catéchistes assument-ils un rôle de passeurs ? Sont-ils au service de la foi de quiconque ? Travaillant depuis peu au SCC, je n’ai pas la prétention de répondre à ces questions mais je peux témoigner d’une intention fondamentale que je perçois, celle non pas de transmettre la foi mais de la susciter. Dans cet esprit, des Itinéraires de catéchèse d’adultes sont proposés depuis déjà 2003 et des Tables de la Parole permettent le passage d’un modèle d’instruction et d’enseignement à un modèle de partage de la foi. Il est évident que bien d’autres activités du SCC mériteraient qu’on s’y attarde, mais, pour les raisons susmentionnées, je m’en tiendrai à celles-là.
Ces deux propositions sont des invitations à lire la Bible à plusieurs, à se poser ensemble des questions sur le texte, à se parler et à cheminer ensemble pour grandir dans la foi en la vie et en Jésus-Christ.
L’Itinéraire en compagnie d’une femme de Samarie11 en est un bon exemple. L’enjeu principal est de goûter une Parole, de l’entendre, de la recevoir, de la partager avec d’autres, de la laisser résonner, de l’approfondir, de se l’approprier, d’en partager les résonances et les effets. Un second enjeu, tout aussi important, est la mise en place d’un lieu où toute parole humaine est reçue, écoutée et partagée dans le respect.
Partant de la conviction que Dieu parle aujourd’hui encore, cet Itinéraire propose un espace d’écoute et de résonance. Il se fonde sur la pédagogie que Jésus utilise avec la Samaritaine : une pédagogie de la rencontre, du dialogue, de la parole échangée ; une pédagogie qui surprend, étonne, dérange, qui appelle à la vérité, à l’essentiel, à l’essence de l’identité de chacun, une pédagogie qui révèle Dieu. Quand on parle d’itinéraire, on parle d’un cheminement dans  le temps, fait de plusieurs étapes. Chaque étape est proposée sous la forme d’une rencontre en cinq moments : un temps d’accueil et de mémoire du chemin déjà parcouru ; un temps pour se projeter et déposer ses représentations sur le texte ; un temps pour approfondir et laisser parler le texte, non comme il existe dans nos représentations et notre mémoire, mais avec ses mots réels ; un temps d’appropriation personnelle et communautaire qui redonne la parole à chaque participant, une parole nouvelle qui dit autre chose de l’existence humaine et de son lien à Dieu ; un temps de conclusion qui permet d’évaluer l’étape et de se séparer, pour que chacun, nourri de la Parole de Dieu et de la parole des uns et des autres, retrouve son quotidien.
Les Tables de la Parole,12 quant à elles, procèdent de la même démarche. Elles sont ouvertes à tout adulte qui le désire. Elles débouchent parfois sur des animations proposées à des communautés paroissiales sous la forme de catéchèses communautaires et intergénérationnelles.
Les animateurs de cette forme de catéchèse ne sont pas des enseignants possédant un savoir qu’ils cherchent à transmettre, ils sont eux-mêmes en route avec les groupes. La démarche qu’ils proposent les déplace et déplace leurs représentations, autant qu’elle déplace les participants et leurs représentations. Ils n’ont aucune garantie que leur démarche engendre la foi. Ils ont par contre la certitude qu’elle engendre les conditions de possibilité de la foi car elle met en marche avec d’autres et avec Dieu. N’est-ce pas là le sens même de la pastorale d’engendrement ?

A.      D.

4 Documents Episcopat, Bulletin du secrétariat de la Conférence des évêques de France, n° 4/5, mars

2001. Ce bulletin contient la publication d’une intervention d’Yvette Chabert lors de la Session nationale de pastorale des jeunes, à Valpré, les 17-19 novembre 2000.

5 Christoph Theobald, op.cit., pp. 220-221.

6 Documents Episcopat, ibid.

7 « Evangéliser de manière évangélique, Petite grammaire spirituelle pour une pastorale d’engendrement », in Passeurs d’évangile, op. cit., pp. 57-72.

8  C’est dans ce sens-là que le diocèse va proposer une démarche de lecture d’Evangile : « Dès fin novembre, le premier dimanche de l’Avent, et pour une année, nous vous proposerons une lecture de l’Evangile de saint Marc. Des fascicules de cet Evangile vous seront offerts. Nous vous inviterons à chercher 5 à 6 personnes de votre entourage pour former un petit groupe et lire ensemble cet Evangile.
Cette démarche est basée sur la liberté, la disponibilité, la gratuité, le souci d’aller vers les autres pour vivre des rencontres avec la parole de Dieu. Chaque rencontre se voudra simple. Une lecture du texte qui est source d’inspiration, qui est puits et eau vive, une intériorisation de la Parole : qu’est-ce que Jésus me dit aujourd’hui ? Etre accueil à la suite de la Samaritaine et engager une relecture de nos vies, de nos histoires à la lumière de cette parole de Dieu pour aller plus loin dans l’amour », Mgr Pierre Farine, Lettre pastorale pour le Carême 2011, pp. 6-7.

9  Christoph Theobald, op. cit., p. 225.

10  www.catechese.ch/ge/

11 Cet itinéraire de catéchèse d’adultes sera probablement publié par Novalis et Lumen Vitae.

12 Des informations concernant les Tables de la Parole se trouvent dans la plaquette du SCC  distribuée chaque début d’année dans chaque paroisse.