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André Fossion

À cet égard, ce qui anime et inspire fondamentalement la pastorale d'engendrement, c'est la foi en l'amour inconditionnel et démesuré de Dieu qui engendre. C'est de Lui, comme dit saint Paul, que nous avons dans l'instant présent   « la vie, le mouvement et l'être ». Et ce Dieu qui engendre, qui nous tient aujourd'hui dans  l'existence, nourrit le dessein de nous communiquer la vie en abondance avec notre concours, dans un monde risqué, livré, à la fois, au hasard et à notre liberté. Ainsi, la pastorale d'engendrement se nourrit-elle d'abord de la contemplation de l'amour divin et de son dessein de salut. Selon l'expression ignatienne, il s'agit de «voir Dieu en toutes choses », de voir son action là où la vie jaillit dans sa diversité. Cette contemplation de l'action de Dieu dans le monde conduit à s'émerveiller devant les puissances de vie, d'imagination et de création qui sont présentes au cœur des êtres humains et des diverses cultures. Mais aussi  à compatir, à s'indigner, à résister et à combattre lorsque les personnes ou les peuples ne sont pas respectés, lorsque l'injustice, le mal et la souffrance semblent l'emporter. En ce sens, la pastorale d'engendrement commence lorsque, pour reprendre une phrase bien connue de Vatican II, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ ». Contemplation, émotion et action vont ici de pair : voir Dieu en toutes choses conduit à se laisser émouvoir - de joie comme de peine – par les situations humaines dans lesquelles on se trouve plongé. Et l'émotion elle-même, comme le mot l'indique, fait « sortir de soi », invite à se mouvoir, entraîne à l'action…

C'est pourquoi on peut dire que la pastorale d'engendrement s'inscrit dans l'optique évangélique des semailles. Les paraboles évangéliques des semailles conviennent bien, à cet égard, pour la figurer. D'abord, avec l'image de la semence, on est dans le régime des (re)commencements, des questions simples et élémentaires que posent l'existence, mais qui peuvent produire de grands fruits comme le grain de moutarde qui devient un grand arbre (Mt 13,31). La pastorale d'engendrement, en effet, a le plus souvent affaire à des questions simples, élémentaires, mais qui sont aussi des questions ultimes et décisives pour la vie : Puis-je avoir foi en la vie ? La mort a-t-elle le dernier mot ? Faut-il répondre par la violence à la violence ? Les semailles ont besoin de semeurs.  L'évangélisation aussi, elle a besoin de témoins. Mais ce n'est pas celui qui sème qui donne la croissance ou même récolte la moisson : « Le semeur est sorti pour semer. Qu'il veille ou qu'il dorme, la semence germe et grandit, et il ne sait comment » (Mc 4,26-27). Quant au fruit de la semence, il est toujours inattendu en quantité comme en qualité. Les paraboles des semailles nous rappellent ainsi que l'évangélisation ne s'effectue pas sous le régime d'une production que l'on maîtrise mais d'une émergence que l'on sert. Dans une pastorale d'engendrement, le témoin est appelé à s'effacer pour laisser advenir autre chose que lui-même. Il n'arrête pas le mouvement de la vie à lui-même, mais il s'efface en la servant, en  la laissant passer toujours neuve, inattendue, imprévisible, au-delà de lui-même. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12,24). Dans une pastorale d'engendrement, il faut aussi savoir prendre patience, ne pas vouloir l'achèvement tout de suite, accepter des situations mélangées, ne pas étouffer les bonnes pousses sous prétexte qu'elles se mêlent aux mauvaises herbes. « Ne ramassez pas l'ivraie de peur de déraciner le blé avec elle. Laissez l'une et l'autre croître jusqu'à la moisson » (Mt 13,29-30).