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Simon Pierre Arnold

La nouveauté du Royaume
La nouveauté eschatologique du Royaume se joue, précisément, sur la symbolique de l’ « heure » du « jugement ». Pour le Précurseur (Jean-Baptiste), cette heure exprime la fureur de Dieu. Ce qu’il prévoit et annonce, c’est un cataclysme sans précédent dont seuls ceux qui se convertissent pourront être épargnés.
Pour Jésus, par contre, l’heure du jugement, en particulier dans le quatrième évangile, se confond avec sa propre personne. Il « est » lui-même le jugement dernier. Loin de se présenter comme une menace et un cataclysme, Jésus s’offre à tous comme « Bonne Nouvelle ». Il n’y aura pas d’autre jugement que sa personne, sa vie et son exemple. L’évangile de Jean dira même que son Christ renonce à juger qui que ce soit (Jean 8, 15). Il suffira de le regarder lui, et de se situer face à lui pour être jugé de l’intérieur, en quelque sorte. Chacun devient son propre juge, dans ses choix de vie confrontés à la personne du Fils. Le jugement dernier, l’apocalypse, la collision entre le Transcendance et l’Histoire, se jouent dans la conscience et le cheminement intérieur de la foi.
Mais pour Luc et Matthieu, cette « heure du jugement » revêt aussi un aspect social, éthique et politique évident. Los de son discours inaugural dans la synagogue de Nazareth (Luc 4, 16), Luc met dans la bouche de Jésus les paroles d’Isaïe, annonçant le retour à la vue pour les aveugles, la récupération de l’ouïe pour les sourds et la libération pour tous les opprimés.
Subtilement, le Jésus de Luc escamote la conclusion menaçante du prophète pour la substituer par un aujourd’hui triomphant (Luc 4, 21). L’heure n’est plus un lendemain tragique, mais un « aujourd’hui », merveilleux et exigeant. C’est aujourd’hui se fait, à son tour, quotidien et éternel, comme nous le dira la lettre aux Hébreux plus tard (4, 7). Jésus « est » le jugement en se faisant « aujourd’hui » libérateur de toutes les victimes de l’Histoire.
Dès lors, pour Matthieu, la conséquence de cet aujourd’hui est claire : le jugement dernier, quotidien et permanent, c’est le pauvre. Dans son chapitre 25, le premier des synoptiques nous invite à nous laisser juger par la soif, la faim, la nudité, la maladie et la prison des pauvres. Jésus ne juge pas, comme dit saint Jean. Mais il se fait reconnaitre dans le pauvre dont la vie nous juge à chaque instant.
Loin des images catastrophiques du Baptiseur, le Royaume se présente, donc, comme une utopie de libération historique, une métaphore radicale des relations sociales. La collision entre l’Au-delà et l’Histoire est un éternel présent de conversion et de réconciliation. Ce qui, pour Jean-Baptiste, était une condition pour échapper au malheur imminent, devient chez Jésus le signe par excellence, le commencement de la rencontre définitive entre Dieu et l’humanité, l’avènement. Pour Matthieu, le Règne de Dieu est une « praxis ».

 

Une immense rébellion
Le caractère souffrant du jugement dernier affecte, non plus les victimes, mais bien le juge lui-même. Sa souffrance, qui assume le péché du monde est, en fait, un « non » retentissant, une rébellion infinie. Le Royaume c’est la révolte de l’homme-Dieu.
Le déjà du Royaume, que nous venons de contempler, exige, en même temps, la tension permanente du pas encore. Cette dimension s’exprime, pour le croyant, dans la « révolte de Dieu » sur la croix, qu’il décide d’assumer à son tour. Planter l’ancre de l’autre côté du voile, c’est crier « non », avec le crucifié, face à toute humiliation, à toute injustice, à toute souffrance imposée à nos frères.
La Jérusalem céleste, qui descendra du ciel, comme nous le promet l’Apocalypse, ce sera le monde nouveau engendré par le « non » de cette multitude innombrable qui suit les traces de l’Agneau, revêtus de la blance tunique de leur espérance. Espérance et rébellion ne feront plus qu’un dans le Royaume des cieux. L’avenir est un fruit tout autant qu’un don. Il naître de nos protestations mais les devancera et les dépassera infiniment dans sa beauté finale et éternelle.