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Maurice Zundel

«(...) la Trinité est la délivrance d’un cauchemar où l’humanité se débat quand elle se situe en face d’une divinité dont elle dépend et à laquelle elle est assujettie : pourquoi Lui plutôt que moi ? Pourquoi suis-je la créature, et Lui le Créateur ? Pourquoi, s’il est mon créateur, m’a-t-il mis dans cette situation de savoir que je suis son esclave ? Pourquoi m’a-t-il donné juste assez d’intelligence pour comprendre que je dépends de Lui ? Il y a une révolte sourde et implacable qui monte du cœur de l’homme dans cette confrontation de son esprit avec cette espèce de Dieu qui lui apparaît comme le rouleau compresseur de l’esprit ! »

Dans l’ouverture du Cœur de Dieu à travers le Cœur du Christ, il y a justement cette manifestation incroyable et merveilleuse que Dieu est Dieu parce qu’il se communique, qu’il est Dieu parce qu’il se donne tout, parce qu’il est la désappropriation infinie et éternelle, parce qu’il a la transparence d’un enfant, une transparence où toute espèce d’appropriation est impossible, où le regard est toujours dirigé vers un l’Autre, où la personnalité, où le moi, n’est qu’un pur et infini altruisme. C’est là la grande confidence qui resplendit dans l’Évangile du Christ! La perle du royaume, c’est que Dieu soit ce Dieu-là !

Jésus, en nous révélant la Trinité, nous a délivrés de Dieu! Il nous a délivrés de ce Dieu cauchemar, extérieur à nous, limite et menace pour nous : il nous a délivrés de ce Dieu-là ! Il nous a délivrés de nous-mêmes qui étions nécessairement, et sourdement, même si nous n’osions l’avouer, en révolte contre ce Dieu-là.

Avec la Trinité, nous entrons dans le monde de la relation. (...)

Subsister en forme de don, subsister comme une relation à autrui, subsister dans une pure respiration d’amour, nous avons là le Dieu qui transparaît et se révèle personnellement en Jésus Christ.(...)

Ce qui est justement si pathétique, et ce qui nous rend sensible la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et le passage transcendant qu’il faut opérer de l’un à l’autre, c’est que, tandis que dans l’Ancien Testament le péché suprême, le péché originel, c’est de vouloir être comme Dieu, dans le Nouveau, c’est cela même qui est l’unique nécessaire.(...)

Il s’agit d’être comme Dieu ! Et, au fond, cette intuition nietzschéenne, cette volonté d’être Dieu, de ne supporter aucun Dieu en dehors de soi, est l’ébauche d’une vocation authentique. Mais attention ! Oui, être comme Dieu, mais après avoir reconnu en Dieu justement la désappropriation infinie, la pauvreté suprême, le dépouillement translucide ! 
Si Dieu est ce Dieu-là, s’il est dans notre cœur une attente infinie, être comme Dieu, maintenant cela veut dire nous désapproprier fondamentalement de nous-mêmes pour que notre vie s’accomplisse comme la sienne dans un don sans réserve.»