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André Fossion

« La Trinité, il faut leur en parler. C’est totalement génial. La plus belle trouvaille de la condition humaine ! C’est d’une modernité absolue qui n’a pas pris une ride ». Ces propos étonnants pour des oreilles modernes sont ceux du psychiatre et psychanalyste, Philippe van Meerbeeck, lors d’une conférence récente tenue à l’Institut Lumen Vitae sur les adolescents d’aujourd’hui. Serions-nous donc assis sur un trésor oublié ? La foi trinitaire recèlerait-elle des richesses de significations insoupçonnées, des qualités éducatives, des vertus salutaires voire thérapeutiques que nous n’imaginions pas et que nous aurions encore à découvrir ? L’originalité de la foi chrétienne, en effet, c’est que Dieu s’y révèle comme une unité aimante de communication. Dieu en lui-même est mouvement de donner/recevoir/rendre. Le Père est celui qui donne. Le Fils est celui qui reçoit et rend. Quant à l’Esprit Saint, il est, pourrait-on dire, le lien entre l’un et l’autre, le lien de leur amour (vinculum caritatis). Comme le dit, Jean Daniélou, « Le fond du réel est l’amour au sens de la communauté des personnes (…) Que ce qui est absolument premier ce soient des personnes et la réciproque adhésion et communication entre ces personnes, que cette communion des personnes soit le fond même, l’archétype de toute réalité, ce à quoi par conséquent tout doit se configurer, est fond même de la révélation chrétienne »

Pour parler de Dieu comme unité de communication interpersonnelle, le langage de la tradition recourt à un ensemble riche et varié de termes relationnels : le don, l’engendrement, la paternité, la filiation, l’amitié, le colloque, la circumincession, la spiration, la conjugalité. En Dieu, dit Augustin, dans un langage empreint de tendresse amoureuse, « il y a l’aimé, l’amant et l’amour ». Ainsi, à travers des expressions différentes, le langage de la tradition chrétienne, parle d’un Dieu qui est mouvement de « donner/recevoir/rendre » en quoi consiste l’amour. Et ce mouvement unifie, engendre, différencie, personnalise, tout en conférant aux personnes une égale dignité. Au niveau catéchétique, ce qui me paraît important, c’est de faire percevoir que ce modèle de communication trinitaire nous concerne, en réalité, de tout près. Quel est, en effet, le problème central de la vie humaine, tant au niveau interpersonnel que social, sinon de faire l’unité entre nous, de promouvoir nos différences personnelles, tout en reconnaissant notre égale dignité. Croire en la Trinité, c’est, dès lors, se reconnaître en relation avec Dieu et avec d’autres et trouver, dans cette interrelation, une manière de désirer. Vivre de l’Esprit trinitaire, c’est chercher à faire l’unité entre nous : construire des communautés vivantes à différents niveaux, travailler ensemble d’un commun accord, viser le bien commun. C’est aussi valoriser les personnes dans leur différence inaliénable. Et c’est encore veiller à ce que ni l’unité cherchée ni les différences promues ne donnent prise à la domination, mais, au contraire, honorent notre égale dignité. Ainsi, ce que l’esprit trinitaire induit dans les relations humaines, c’est, d’une part, contre la pente individualiste, le souci du bien commun et, d’autre part, contre la pente collectiviste, la singularité et la liberté des personnes

A cet égard, on peut reconnaître que la notion de personne comme aussi l’idéal démocratique (fraternité, liberté, égalité) dont nous sommes aujourd’hui les bénéficiaires n’ont pas mûri sans le terreau qu’a constitué, dans l’histoire humaine, le paradigme trinitaire qui allie unité, différence et égalité. Dans cette perspective également, s’approcher de Dieu, ce n’est nullement se fondre en lui ni être dominé par Lui. Si Dieu existe, est-ce que je puis encore exister devant Lui ? Si Dieu existe, est-ce que je puis être libre ? Ne suis-je pas nécessairement soumis et réduit à l’obéissance ? En réponse à cette question très vive chez nos contemporains, le modèle trinitaire se présente comme personnalisant ; il n’a rien de fusionnel ni de dévorant. Au contraire, dans le modèle de communication trinitaire, plus je m’approche de Dieu, plus il me rend à moi-même et plus je deviens moi-même. Ainsi s’accomplit l’œuvre créatrice de Dieu.