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3. Des communautés vivantes qui offrent un dispositif initiatique

Ce que nous venons de dire sur la diaconie et l’annonce concerne l’évangélisation au sens strict. Avec cette troisième orientation pastorale, nous entrons dans l’accompagnement catéchétique de ceux et celles qui ont été touchés par l’annonce évangélique et veulent faire un pas dans la foi et dans le style de vie qu’elle induit.

Cette avancée dans la foi est toujours un travail. La première annonce, en effet, n’a pas pour effet immédiat de susciter la foi. La première annonce suscite plutôt un questionnement, provoque une interpellation. Elle questionne et met en mouvement : « Et toi, que dis-tu de lui? » (Jn 9,17) - « Pour vous qui suis-je ? » (Mc 8,29) - « Que vous en semble ? » (Mt 18,22). Mais répondre à ces questions demande du temps. Croire en Jésus-Christ, en effet, particulièrement dans la culture sécularisée d’aujourd’hui, n’est jamais un acte spontané qui va de soi. La foi est un travail, un enfantement, un cheminement qui peut être lent et difficile entre crédulité et incrédulité. Aujourd’hui, dans un contexte sécularisé, la foi est toujours une traversée de doutes et de résistances. D’où, la nécessité d’un accompagnement dans la foi ou, en d’autres termes, d’une initiation. Ce terme a pris dans l’église d’aujourd’hui une grande résonance. Il comporte, étymologiquement, l’idée de chemin et de début (in-ire) ; l’initiation, en effet, est une entrée guidée dans un cheminement. Elle implique un devenir. « On ne naît pas chrétien, on le devient ». Cette formule de Tertullien trouve aujourd’hui toute son actualité. On n’est plus, comme durant la période de chrétienté, dans une logique d’héritage où la foi se transmettait par le contexte social comme une langue maternelle, mais dans une logique de décision, d’adhésion, de conviction libre et personnelle qui suppose un combat, une traversée des doutes et des résistances. Le terme « conviction » (con-vincere) connote, d’ailleurs, cette idée de combat et de victoire. La conviction est une victoire sur le doute, mais aussi, étrangement, une défaite : on se laisse « vaincre » et « convaincre » par une parole, par l’interlocuteur. On « se rend » à ses arguments en reconnaissant le bien-fondé, la pertinence ou le caractère salutaire de ses propositions. L’enjeu de ces propos, on l’aura compris, est de souligner combien nous avons besoin aujourd’hui de communautés chrétiennes qui offrent à ceux et celles qui ont été touchés par l’annonce évangélique un dispositif initiatique qui leur permette, à leur demande, d’entrer dans un cheminement de foi accompagné.

Comment fonctionne un dispositif initiatique en régime chrétien ? On peut au moins en noter quatre caractéristiques essentielles :

 

* Tout d’abord, un dispositif initiatique requiert un tissu communautaire fraternel.

Quand un candidat se présente pour cheminer dans la foi, la première chose à faire n’est pas de lui enseigner les vérités de la foi, mais de lui ouvrir un espace de fraternité, d’accueil mutuel et d’hospitalité partagée au nom de l’Evangile. C’est dire que toute la démarche initiatique sera toujours intrinsèquement liée à la proposition d’une libre appartenance à la communauté des chrétiens. La démarche initiatique, en d’autres termes, ne se sépare d’un sentiment d’appartenance – à confirmer, à approfondir - à la communauté chrétienne. On est initié dans et par la communauté chrétienne. La communauté chrétienne est le lieu et l’agent de cette initiation ; elle en est solidairement responsable. C’est pourquoi aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de communautés chrétiennes fraternelles qui enjambent les générations et qui constituent, de par leur vie elle-même, un milieu auquel des nouveaux venus dans la foi peuvent désirer se joindre et appartenir.
 

* Deuxième caractéristique. Un dispositif initiatique offre des expériences à vivre et ces expériences « donnent à penser ». Les expériences donnent à réfléchir et sont l’occasion ou le point de départ d’un apprentissage. C’est, en d’autres termes, la mise en oeuvre du principe mystagogique. On vit une expérience et l’expérience devient le point d’ancrage d’une réflexion, d’un apprentissage, d’un enseignement aussi. La didactique classique, elle, part d’un enseignement et va vers l’application. La démarche initiatique suit un mouvement inverse ; on part d’une pratique et celle-ci est le point de départ d’un parcours réflexif. Dans la démarche initiatique, l’expérience que le catéchumène est appelé à vivre est, en tout premier lieu, l’expérience de la communauté chrétienne en ses différents aspects : communautaire koinonia) , liturgique (leitourgia) , caritative (diakonia), testimoniale (marturia). La communauté, en ce sens, est le « livre ouvert » que le catéchumène est appelé à lire et à y ajouter sa propre page. C’est la pédagogie évangélique du « Venez et voyez » (Jn 1,39).

* La troisième caractéristique de la démarche initiatique, c’est qu’elle est nourrie par le partage fraternel autour des Evangiles, ou aussi du Credo, en lien, bien entendu, avec l’expérience de la vie et de la communauté chrétienne, dont je viens de parler. Le partage fraternel autour de l’Evangile édifie ainsi, peu à peu, en articulation avec l’expérience vécue, une intelligence de la foi qui la rende compréhensible, plausible et désirable. Ce travail d’intelligence de la foi requiert aussi du temps, car il suppose une transformation des représentations parfois solidement ancrées qui peuvent s’avérer erronées, biaisées, mal construites, voire aliénantes. La démarche initiatique réclame donc un effort intellectuel, non point que la foi soit réservée aux intelligents, mais au sens où l’intelligence de tous, quels qu’ils soient, est mise en branle. On est nécessairement croyant avec son intelligence.
 

* Enfin, la quatrième caractéristique de la démarche initiatique est qu’elle est balisée par des étapes, marquées rituellement, que l’on franchit librement, chacun à son rythme, lorsque le désir en a mûri. Le parcours catéchuménal, à cet égard, est, avec ses différentes étapes rituelles (entrée en catéchuménat, appel décisif, scrutins, tradition du Symbole, sacrements de l’initiation) un modèle qui peut inspirer toute catéchèse. L’important, c’est que les étapes et  leur sens soient clairement définis et connus dès le départ, mais que la manière de parcourir les étapes comme la durée de préparation puissent varier selon le libre cheminement des personnes. Il n’y a pas, en ce sens, de parcours catéchétique tout fait qui serait comme « prêt-à-porter » ; c’est à chacun et chacune de l’habiller à sa façon. La difficulté de notre temps, c’est que nous sommes dans une période qui requiert des processus initiatiques mais que nous offrons toujours des activités catéchétiques qui appartiennent encore à une logique d’héritage dans laquelle prédomine une catéchèse de type didactique qui présuppose la foi comme si celle-ci, socialement et culturellement, allait de soi. On arrive alors à des contradictions qui sont délétères pour la foi et pour les communautés : les sacrements d’initiation sont vécus comme des rites de passage humains que l’on célèbre humainement dans un vague climat de religiosité, au lieu d’être désirés dans une démarche spécifique de maturation de la foi, liée à un libre engagement d’appartenance à la communauté des chrétiens. Aussi l’Eglise d’aujourd’hui est-elle appelée à adopter résolument un dispositif catéchétique de type initiatique.

 

Nous connaissons aujourd’hui un changement de paradigme socioculturel et, avec lui, une remontée en puissance des sagesses. Un certain christianisme meurt mais ce n’est pas la fin du christianisme. Le dispositif pastoral dont je me suis efforcé d’énoncer les traits et la spiritualité missionnaire qui l’anime, peuvent contribuer, me semble-t-il, à faire émerger, par la force de l’Esprit, des communautés chrétiennes vivantes qui soient au service de l’humanité et, à la fois, porteuses de la Bonne Nouvelle gracieuse de Jésus-Christ.