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2. Des communautés au service de l’humanité et porteuses de la Bonne Nouvelle

Ces communautés dont je viens de parler devront acquérir une véritable compétence missionnaire, c’est-à-dire une conscience de leur mission au sein de la société et une conscience des diverses manières de la mettre en oeuvre dans un esprit évangélique. Cette compétence missionnaire, me semble-t-il, requiert une juste articulation de la diaconie – le service de l’humanité – et de l’annonce évangélique ?

 

Dans le deuxième point de l’exposé, j’en ai déjà énoncé le principe. La communauté chrétienne est ordonnée en priorité à la charité, sans prosélytisme ni ecclésiocentrisme. Quant à l’annonce, elle est elle-même un acte de charité qui vient se greffer sur la diaconie comme  son déploiement gracieux. Comment, dans le concret, vivre cette articulation entre diaconie et annonce ? Comment vivre la diaconie ? Comment y greffer l’annonce ?

 

2.1. La diaconie (le service de l’humanité) ou la figuration de l’Evangile dans la société

La première mission des communautés est de reconnaître et de favoriser la dissémination de figures de l’Evangile dans la société. Entendons par « figures d’évangile » des attitudes, des comportements, des actions, des services qui, effectivement, au-delà de leur sens et de leur valeur immédiats, peuvent faire penser à l’Evangile. L’Evangile nous donne lui-même des exemples de figures : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent » ; ce sont là des faits qui ont leur valeur et leur sens propres, mais qui, en plus, peuvent figurer le Royaume de Dieu. La première mission des chrétiens est de favoriser l’émergence et la dissémination des figures du Royaume dans le tissu social : l’assistance mutuelle, le soutien des faibles, l’éducation des jeunes, la visite des malades, l’accompagnement des mourants, le pardon des offenses, la libération des mauvais esprits, la réconciliation entre les adversaires, le combat pour la justice. Contribuer à l’émergence et à la dissémination des figures du Royaume, c’est, en réalité, identiquement, se mettre au service d’une humanité plus humaine. Et c’est déjà participer à l’engendrement à la vie que Dieu donne.

Précisons en trois points la manière de promouvoir la figuration de l’Evangile dans la société.

* La première manière, c’est de reconnaître les figures d’Evangile, déjà là, dans le tissu social. La première attitude de l’Eglise, dans sa mission pastorale, n’est pas d’apporter au monde ce qu’il n’a pas, mais de rejoindre le monde - « la Galilée des nations » - pour y reconnaître les traces de l’Esprit du Christ ressuscité. En fait, on est toujours précédé par la charité, par l’amour déjà répandu dans les coeurs. Ceci implique de nos communautés chrétiennes qu’elles se laissent évangéliser par les figures d’Evangile qu’elles peuvent reconnaître déjà présentes dans le monde. Jésus avait cette capacité d’apprentissage. Les béatitudes, il les a apprises en les voyant à l’oeuvre chez les pauvres de coeur, les miséricordieux, les artisans de paix. De la même manière, en Eglise, avons-nous à nous laisser instruire par les comportements évangéliques que l’on peut repérer dans la vie des gens que nous rencontrons. Cela requiert de l’Eglise une capacité d’apprentissage du monde où l’Esprit du Christ nous précède et parle d’une manière qui peut nous surprendre.

* Mais, la tâche des chrétiens n’est pas seulement de reconnaître les figures d’Evangile déjà à l’oeuvre dans la société. Elle est aussi de les promouvoir, de s’engager avec tous les hommes de bonne volonté, dans la construction d’un monde plus humain qui puisse figurer l’Evangile. En vertu de leur foi en l’amour de Dieu, les chrétiens ont à promouvoir de toutes les manières, les valeurs évangéliques dans la société et donc à lutter contre tout ce qui « défigure » l’homme. Leur mission, à cet égard, est de s’engager prioritairement dans les lieux de pauvreté, de souffrance, d’exclusion et de désespérance. Ils sont appelés à s’engager de manière inventive dans l’instauration et/ou la restauration de justes relations entre les sexes, entre les classes sociales, entre les générations, entre les cultures, entre les nations, entre les religions, avec la nature. La communauté chrétienne devrait promouvoir des recherches rigoureuses à ces sujets et poser des gestes symboliques prophétiques qui parlent et interpellent les consciences. C’est à travers tous ces engagements que se construit l’amitié entre les communautés chrétiennes et le monde. Rappelons-nous l’impératif évangélique : se faire des amis avec intelligence et habilité, construire ainsi le trésor de la reconnaissance réciproque. Ne l’oublions pas, l’autorité de l’Eglise repose sur la reconnaissance que les hommes et les femmes d’aujourd’hui, les pauvres en particulier, éprouvent à son égard à cause de ses engagements au service de l’humanité.

* Mais pour cela, il faut encore que la communauté chrétienne, dans son fonctionnement même, dans ses institutions, soit dans le monde et pour le monde une figure d’Evangile. L’exigence ici est de bâtir l’église sur la réciprocité, sur l’égale dignité de ses membres, sur un exercice du pouvoir ordonné et ajusté au service, à l’épanouissement de tous et de toutes, de telle sorte que tous puissent reconnaître qu’être chrétien est un chemin authentique d’humanisation. La crédibilité de l’Eglise réside en ce sens dans l’excellence des qualités relationnelles qu’elle promeut et dans la justesse de l’exercice du pouvoir en son sein.

Cette question aujourd’hui est cruciale, particulièrement en Europe, où l’image de l’Eglise, particulièrement de son fonctionnement hiérarchique, est très endommagée. Pourtant, l’Evangile nous avertit : « Les rois des nations païennes leur commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, le plus grand d'entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert. » (Lc 22, 25-26). L’autorité à l’intérieur de l’Eglise devrait être pensée, à cet égard, comme ce qui autorise et permet, ce qui, littéralement, rend « acteur » et « auteur ». Les lieux d’autorité devraient être conçus aussi comme pluriels : les Ecritures, le Magistère, le sensus fidelium, les lois morales, la conscience personnelle, la voix des pauvres, les sciences. Tous ces lieux d’autorité sont des termes en interaction qui se relativisent. Aucun n’occupe le sommet précisément pour laisser la place à l’Esprit.

Construire une Eglise où les sujets ont conscience de leur citoyenneté ecclésiale, où ils ont la possibilité de l’exercer effectivement, où tous et toutes sont reconnus dans une égale dignité, c’est être aujourd’hui dans le monde une figure d’Evangile. Il s’agit, en fait, d’assurer au sein de l’Eglise une vie fraternelle et un fonctionnement institutionnel - la koinonia – qui puissent être vécus, lus et reconnus comme bons, salutaires, humanisants. C’est dans le souci de l’humain, en effet, que se laissent voir la trace et la figure du divin.

 

2.2. L’annonce évangélique ou le dévoilement des figures

Mais la figuration de l’évangile dans la société requiert que l’Evangile soit non seulement vécu mais également annoncé explicitement et que les figures soient ainsi dévoilées. « La foi vient de ce qu’on entend » (Rm 10,17), dit Paul. L’annonce évangélique vient précisément se greffer sur la diaconie, dans un acte de charité supplémentaire, comme son déploiement gracieux, pour en révéler le sens et en dire le mystère. Le défi aujourd’hui est de pouvoir faire entendre la Bonne Nouvelle dans un monde sécularisé qui, par bien des côtés, ne l’attend pas, ne l’espère pas mais qui, par bien d’autres côtés, reste profondément sensible au mystère de l’amour qui l’habite, au trésor qu’il représente, aux interrogations qu’il soulève. C’est pourquoi il n’y a pas d’autre chemin pour rendre l’annonce pertinente que celui de la charité dont elle dit le sens. Sans l’amour qui la précède et l’anime, l’annonce ne serait que du vent « Si je n’ai pas la charité, dit Paul, je ne suis qu’une cymbale retentissante » (1 Co 13,1).

C’est cette même charité encore qui invite à diversifier les formes de l’annonce par souci des personnes, pour les rejoindre là où elles sont dans le champ complexe de la communication. Je distinguerai ici six formes fondamentales de l’annonce.

L’annonce peut prendre une forme kérygmatique lorsque le témoin énonce la foi chrétienne de manière brève, intelligente, chaleureuse, tout à la fois. Elle peut prendre une forme narrative et testimoniale lorsque le témoin raconte sa propre histoire et donne envie de croire. L’annonce prend corps, dans ce cas, dans un récit de vie. Elle peut prendre une forme expositive ; un ouvrage de théologie ou un catéchisme pour adultes peuvent, en effet, fournir un premier contact avec la foi, en lever les obstacles et susciter le désir de croire. Il y a aussi la forme dialogique (ou apologétique) de l’annonce lorsque le témoin, dans le cadre d’un débat argumenté, s’efforce de rendre compte de la foi. L’annonce peut prendre encore une forme liturgique ; la liturgie des chrétiens, en effet, est souvent fréquentée par des personnes qui sont éloignées de la foi et elle peut exercer pour elles le rôle d’une première annonce. Enfin, il y a encore une forme culturelle de l’annonce. Entretenir, dans le champ culturel  lui-même, la mémoire du christianisme, les traces de son histoire, son patrimoine d’art, ses valeurs éthiques, son trésor de spiritualité, sa réflexion philosophique et théologique, c’est permettre aux citoyens de rencontrer la tradition chrétienne, d’y puiser librement ou même de la faire leur.